Dans notre rubrique, art, culture et traditions, nous relayons cet article sur l' excellent poivre de Kampot :
Le poivre épice reine du Cambodge
Le poivrer est une liane de la famille des piperacées (Piper Nigrum) à l'origine sur la côte Ouest de l'Inde (Côte de Malabar) qui a gagné d'autres pays d'Asie du Sud-Est, Madagascar et le Brésil.Son utilisation en Occident remonterait à la Grèce antique et à Alexandre le Grand. Durant le Moyen Âge, le commerce des Epices était le monopole des vénitiens et des négociants arabes d'où sa rareté. En 1498, Vasco De Gama a été le premier a atteindre l'Inde en contournant l'Afrique. Il a été à l'origine de l'empire des Indes des Portugais. Il a ouvert la Route des Epices.
La culture du poivre au Cambodge est ancienne. On en retrouve la trace dans le récit de Zhou Daguan, diplomate chinois qui visita l'empire Khmer à la fin du XIIIe siècle. Au temps de la colonisation, la production des plantations de poivre de Kampot étaient de 8000 tonnes en 1907 avant de se stabiliser à 3000 tonnes ultérieurement à la taxation de l'épice reine du Cambodge. Lorsque le pays basculera dans la tragédie khmer rouge, il s'en fallut de peu que la culture poivrière ne disparaisse. En 2006, la production était estimée (surestimée ?) à 2000 tonnes et la filière de commercialisation était désorganisée , profitant aux productions thaïlandaises et vietnamiennes. Le manque d'organisation, de capacités de stockage, le besoin immédiat de rentrées d'argent et la faible productivité ne permettaient pas , malgré leur grande compétence , aux producteur d'avoir une viabilité financière de leur exploitation.
L'itinéraire nous conduit sur une piste en terre rouge au travers de la belle campagne khmère entre hameaux et rizières. Les plantations bénéficient de la brise marine et de la terre argileuse rouge de la région. Elles demandent beaucoup de soin. Les lianes poussent le long de tuteurs de bambous, sur des parcelles surélevées afin de permettre un meilleur drainage des eaux de pluie. Elles doivent être ombragées, et arrosées abondamment ( 15 litres d'eau par plant tous les 3 jours ) pendant la saison sèche. La liane pousse habituellement sur une terre riche et il faut lui apporter trois années durant de la nouvelle terre « vierge »provenant de la forêt ou de l'engrais bovin ou du guano , pour permettre aux racines de bien se développer. Le pied ne commencera à donner qu'au bout de 5 ans.Il peut alors mesurer jusqu'à 5 mètres de haut et il donne jusqu'à 3 kg de poivre, 5 kg dans les saisons exceptionnelles. Il existe 2 variétés utilisées par les producteurs au Cambodge le Kamchay et le Lampong (ou Beantoeung) connues localement comme « petites feuilles et grandes feuilles » seules conformes au cahier des charge de l'IGP qui peuvent vivre jusqu'à 30 ans mais dont la rentabilité commence à diminuer après 15 ans.
La récolte se fait manuellement tôt le matin, du mois d'octobre mois à mai selon le poivre que l'on souhaite obtenir. Les cueilleuses , grâce à de petits escabeaux, récoltent les grappes de poivre et les déposent dans des paniers en osiers placés à leur pieds. Il faudra souvent plusieurs passages pour récolter la précieuse épice au moment optimum de maturité.
A la ferme , chaque grain est retiré de sa grappe et trié en fonction de sa maturité avec un rejet ferme des grains abimés ou moisis.Une fois triées, les graines sont étalées au soleil pour la phase de séchage pendant 3 à 7 jours et elles vont enfin prendre une couleur noire. Reste alors le calibrage et l'ensachage.
Les baies du poivrier sont différentes selon le stade de la récolte et le type de préparation. On distinguera :
– Le Poivre vert : C'est la baie verte du plant de poivre , récolté avant maturité et consommé dans les 3 jours après la récolte.Il possède un goût citronné très frais et moins piquant que les variétés sèches. Il est très apprécié en cuisine avec les fruits de mer en particulier avec le crabe. Ses arômes explosent littéralement en bouche.
– Le Poivre noir : Les baies sont parvenues presque à maturité et séchées et elles possèdent un goût épicé plus prononcé développant des arômes forts et délicats au senteur de menthe. Son goût intense et doux révèle des notes fleuries. Quand il est conservé dans de bonnes conditions , il peut se garder sa saveur durant des années. Il sera parfait pour accompagner un filet de bœuf ou une viande rouge.
– Le Poivre rouge : La baie est arrivée à pleine maturité . Le poivre rouge est beaucoup plus rare et de première qualité. Il a un goût plus rond, sucré et intense moins piquant que le noir. Il est très recherché et il saura accompagner des gibiers ou des viandes fortes comme le sanglier.
–Le Poivre blanc : Il s'agit des baies de poivre , arrivées à maturité et débarrassées par trempage de leur enveloppe, le péricarpe.Il apporte des notes de terroir et des saveurs vives.
–Le Poivre Gris : quand le poivre est moulu, mélangeant le péricarpe noir au coeur blanc.
Afin de sauvegarder le tissu économique et social de la région de Kompong Trach (province de Kampot), pour protéger les petits producteurs traditionnels et éviter que la culture du Poivre ne profite qu'à des investisseurs étrangers, le Poivre de Kampot a été le premier et le seul poivre au monde bénéficiant d'une IGP (Indication géographique protégée) qui lui a été délivrée le 2 avril 2010.
Cette indication lui permet de bénéficier d'un label protégé au sein des pays reconnaissants cette indication notamment l'Union Européenne. Elle lui impose un cahier des charges garantissant la zone géographique de production et s'établissant sur une réputation bien établie. Elle a imposé la mise en place d'un système de contrôle externe et de certification approprié ( Ecocert).
En 2010, la production de la filière était de l'ordre de 20 tonnes dans la zone IGP et elle a permis aux producteurs un accroissement de leur chiffre d'affaire de l'ordre de plus de 55 000 Dollars US par an, grâce au positionnement du Poivre de Kampot comme produit de « luxe ».
L'effort de relance de la filière poivre de Kampot génère aussi la croissance et l'emploi en aval dans la filière en imposant le conditionnement sur zone d'où croissance économique de toute la région. On ne peut que souligner le succès de la mise en place de l'IGP.
Le poivre de Kampot a reconquis ses lettres de noblesse par le savoir faire de ses producteurs, la qualité exceptionnelle de son terroir, l'exigence de sa culture et un tri fin et exigeant de ses grains au séchage parfait. La traçabilité de son circuit de la production à la commercialisation est le garant de l'accroissement des revenus des petits agriculteurs.
Brigitte Lam
Source :« Etat des lieux de l'industrie du poivre de Kampot : état d'avancement d'un projet d'appui aux producteurs de poivre de la province de Kmapot », J. Benezech